mercredi 9 juillet 2008

"Pourquoi le gouvernement traite-t-il le dialogue social par le mépris ?"


Le Monde publie sous ce titre une tribune de François Chérèque dans son édition datée du 6 juin 2008
Il aura fallu moins de 48 heures au gouvernement pour frapper en plein vol un processus qui pouvait nous conduire à changer d'époque en matière de relations sociales. En moins de 48 heures, nous voilà revenus des années en arrière, des mois de travail peut-être pour rien. Oubliées les leçons du contrat première embauche (CPE), remisées les invitations au dialogue… La vieille vision étatiste selon laquelle seule la voie politique est capable de produire le changement est de retour.
Il y a un mois, les partenaires sociaux s'accordaient sur des nouvelles modalités de la représentativité syndicale et de la légitimité des accords. Pour la première fois dans l'histoire des relations sociales en France, les deux premières centrales syndicales, la CFDT et la CGT, et les principales organisations patronales posaient les jalons d'une culture du dialogue et de la négociation. Cet acte est historique tant on déplore une France championne du monde des grèves, incapable de se réformer. Tant on regrette un dialogue social marqué par l'affrontement et la méfiance, inapte à produire les changements à temps et à les mettre en œuvre efficacement.
La CFDT est la première à l'admettre, notre dialogue social n'a pas été jusqu'à présent à la hauteur des enjeux et des urgences. Le récent rapport Cohen-Tanugi, commandé par le gouvernement, sur "L'Europe dans la mondialisation" y voit une des causes de notre retard sur les objectifs de Lisbonne, des économistes comme Thomas Philippon estiment qu'il en coûte plusieurs points de notre produit intérieur brut.
Quelle en est la cause ? Tous les spécialistes s'accordent pour accuser des règles sociales archaïques, une intervention constante et perturbatrice de l'Etat dans la régulation sociale et des syndicats peu responsables parce que peu responsabilisés, adoptant une attitude de rejet plutôt que de recherche de compromis.
La crise du CPE a souligné à la caricature l'impasse où mène l'absence de dialogue social. Elle a donné naissance en 2007 à la loi de modernisation du dialogue social qui a fait de la négociation entre les partenaires sociaux un préalable à toute nouvelle loi concernant le droit du travail.
Depuis, les partenaires sociaux ont démontré à deux reprises leur capacité à faire. En janvier, un premier accord sur la modernisation du marché du travail initiant a été signé; à la fin avril, une "position commune" sur la représentativité et le financement du syndicalisme incluant un volet sur le temps de travail était adoptée. Le chef de l'Etat s'est félicité d'un tel succès dans une tribune dans Le Monde du 19 avril. Xavier Bertrand et Christine Lagarde ont, pour leur part, déclaré que nous avions réalisé, dans le cadre de la "position commune", une avancée sur le temps de travail.
Renvoyés à nos banderoles
Pourquoi revenir alors sur un travail fait et bien fait ? La position commune répondait aux deux commandes du premier ministre demandant, d'une part, de négocier sur la représentativité syndicale et, d'autre part, de répondre à la question de savoir si le sujet du temps de travail devait être traité par la loi ou dans l'entreprise.
Les négociateurs ont répondu à ces deux attentes et, concernant la question du temps de travail, ils ont dit qu'il y avait de l'espace pour la négociation dans les entreprises, ces dernières pouvant, comme le prévoit l'article 17 de la position commune, "dépasser à titre expérimental le contingent conventionnel d'heures supplémentaires". La question du temps de travail étant cruciale pour la santé des salariés, nous avons soumis cette disposition à une condition : que celle-ci fasse l'objet d'accords d'entreprises conclus avec les syndicats représentant la majorité du personnel.
En ne respectant pas la position commune, le gouvernement nous renvoie, avec un dédain certain, à nos banderoles. Une déclaration et un projet de loi plus tard et nous voici déjà renvoyés à une seule posture possible, celle de la contestation. L'horizon d'un syndicalisme responsable et de réforme s'éloigne.
Pour nous engager à l'avenir, nous avons besoin de garantir à nos militants qu'en signant un accord notre parole sera respectée. Je souligne au passage la position courageuse de la présidente du Medef qui défend, au-delà de sa propre signature, le principe même de la signature. Laurence Parisot a bien compris qu'au-delà d'un contenu qui satisfait sans doute quelques attentes patronales sur le temps de travail, c'est à long terme le respect du dialogue social qui est en jeu.
Car, au bout du bout, comment le gouvernement espère-t-il avancer durant les quatre ans qui viennent en ayant rompu la confiance que nous avons tant de mal à faire vivre en France ? Avec qui le gouvernement veut-il conduire les réformes qu'attendent les Français ? S'il ne s'agissait de sujets graves – la santé des salariés au travail et le respect des acteurs sociaux –, on pourrait opposer au tragique de répétition le comique de situation.
Les prises de position depuis quelques jours se succèdent à front renversé. La patronne des patrons soutient une position commune avec deux leaders syndicaux. Dans le camp syndical, les non-signataires tirent à boulets rouges sur la CGT et la CFDT et leur demandent de renier leur signature en feignant de croire que le gouvernement n'attendait que leur feu vert pour s'attaquer aux 35heures.
Xavier Bertrand, avec légèreté et précipitation, a réussi à stopper une modernisation sans précédent, à cliver et radicaliser les opinions, à provoquer la défiance envers les politiques et la zizanie entre les organisations syndicales.
Le 26 mai, Bernard Thibault et moi avons fait une proposition au président de la République et au gouvernement. Si les parlementaires ou l'exécutif veulent modifier la loi sur le temps de travail, ils peuvent le faire, mais dans le respect des principes de la loi sur le dialogue social de janvier 2007 et appeler les organisations professionnelles à ouvrir une négociation. Revenir au dialogue social, c'est la voie de la sagesse pour sortir du blocage. C'est la voie de la raison pour façonner l'avenir.